Valoriser et promouvoir le folklore portugais : portrait de Solène Phily

Le nid vous invite à découvrir le portrait de Solène Phily, passionnée de folklore portugais. Un portrait à la croisée de questionnements de recherches sur le patrimoine, d’apprentissage de la langue, de participation active à la vie associative locale et d’expression dansée. Un magnifique plongeon dans l’expression culturelle portugaise !

© Solène Phily

Comment s’est effectuée ta rencontre avec le Portugal et sa culture ?

Parfois on ne sait pas pourquoi on se sent bien quelque part. J’ai toujours aimé les langues, l’écriture, l’origine des mots et ce, en lien étroit avec l’Histoire. J’ai été particulièrement touchée par les langues latines et je suis tombée amoureuse du Portugal et sa culture avant même d’y être allée. 

Ma rencontre avec le folklore est venue de mon affection pour les arts, la danse et l’accordéon. Étant d’origine bretonne, j’ai beaucoup pratiqué le folklore breton et ses danses. Puis j’ai continué mon chemin en Ile-de-France et c’est finalement dans le folklore portugais que j’ai pu retrouver ces valeurs familiales, de partage et de danse qui avaient bercé mon enfance. Pratiquer le folklore n’a fait que renforcer mon amour du Portugal.

Cela est venu également croiser mon travail de réalisation d’un mémoire de recherche de Master centré sur des questionnements patrimoniaux en lien avec le folklore portugais [ndlr : mémoire intitulé “En quoi la valorisation du folklore par les associations portugaises de France présente-t-elle de multiples enjeux de patrimonialisation de la mémoire de l’immigration, d’identité culturelle et de cohésion sociale ?” 2016].

Dans ce cadre-là, j’ai pris contact avec l’Amicale des Travailleurs Sans Frontières de Bezons (ATSF) pour recouper certaines informations que j’avais pu collecter par ailleurs et très vite, j’ai voulu m’impliquer dans l’association en tant que secrétaire. Cela m’a permis d’apporter mon aide, notamment sur la communication de l’association via les réseaux sociaux et l’appui à l’organisation d’événements culturels. Aussi, depuis 2018, je danse le folklore portugais au sein de l’ATSF. Parallèlement, j’ai pris des cours de portugais pendant cinq années. Le Portugal et ses expressions culturelles multiples ont rapidement pris une place importante dans ma vie.

© Solène Phily, ATSF de Bezons

Peux-tu nous faire part d’un ou de plusieurs souvenirs qui t’ont particulièrement marqué dans ta rencontre avec la patrimoine et le folklore portugais ?

Je pense tout d’abord à mon tout premier voyage au Portugal, qui a clôturé la fin de mes études. Je suis partie seule pendant deux mois sillonner les routes du Portugal, découvrir ses  villages, son patrimoine en dehors des sentiers battus touristiques. A l’époque, je ne parlais pas encore bien la langue, mais cette immersion m’a apporté de très jolies découvertes et une rencontre très forte avec la beauté du pays et de sa culture.

Village de Marvão, Portugal © Solène Phily

Et puis bien sûr, mon tout premier spectacle de folklore a été un moment précieux pour moi. A la fois stressant car c’était ma toute première fois, mais également très touchant. J’étais fière de représenter collectivement avec mon groupe certaines danses typiques du nord du Portugal. Par la suite, j’ai dessiné mon propre costume personnalisé, que j’ai fait fabriquer là-bas.

© Solène Phily

Costume se dit traje en portugais. Il se compose pour les femmes de la façon suivante :

  • Une chemise traditionnelle brodée au point de croix sur le col, les épaules et les manches.
  • Un gilet ou « colete » en laine traditionnellement et dont la couleur peut-être déclinée.
  • Une jupe longue décorée des mêmes broderies que celles du gilet. La jupe était faite sur mesure afin d’accentuer et mettre en valeur la taille des jeunes filles et de créer une roue d’un périmètre pouvant atteindre 4 mètres lors des danses traditionnelles.
  • Un tablier : sans doute la pièce la plus prestigieuse de la tenue entièrement brodée à la main. 
  • Un foulard sur la tête de couleur vive.
  • Une « Algibeira » c’est-à-dire une petite poche sur le côté droit.
  • Des accessoires: la poitrine devait être garnie d’une grande variété de pièces en or traditionnelles. Colliers de toutes les épaisseurs, pendentifs en forme croix et du célèbre « Coração de Viana » filigrané et boucles d’oreilles, tout cet or était un symbole de richesse et de fierté pour les familles. La tenue se finissait par des chaussettes hautes en dentelle et des sabots vernis noirs.
  • Un mouchoir blanc brodé au point de croix rouge généralement avec des motifs symboliques de l’amour. Il est d’ailleurs appelé « Lenço dos Namorados » ou « Mouchoir des amants« . 

Cette tenue était généralement portée par les hommes riches pour les grandes occasions et pour se rendre à la messe du dimanche. On y retrouve plusieurs éléments:

  • Un chapeau « braguês » sur la tête.
  • Une chemise en lin banche brodée au point de croix rouge sur le torse, les épaules et les poignets. Cette chemise rappelle, de part ses couleurs, le « Mouchoir des amants » utilisé par les femmes.
  • Un gilet en laine noir avec un quadrillage rouge dans le dos. En hiver, ce gilet était remplacé par une veste ornée de boutons blancs.
  • Un pantalon noir serré au niveau de la taille avec l’élément le plus traditionnel de la tenue, la « faixa » soit une bande de tissu de couleur rouge enroulé autour de la ceinture symbole de joie.
  • Accessoires: la tenue était finie par des chaussettes blanches et chaussures noires. Contrairement aux femmes, les hommes ne portaient aucun bijou ou autre fantaisie.

Peux-tu nous en dire plus sur la genèse du folklore portugais ?

La danse au Portugal occupe une place importante et ce, particulièrement en ce qui concerne les danses traditionnelles et folkloriques. Il existe une multitude de danses traditionnelles variant selon les régions et même entre les villages d’une même région. 

Toutes les régions du Portugal possèdent des danses et des chants traditionnels même si la région du Minho au nord de Portugal reste la plus riche et dynamique au niveau de la pratique du folklore. Les danses traditionnelles les plus connues sont : le vira, la chula, le corrindinho, la tirana, et le fandango, que les femmes et les hommes exécutent en chorégraphie, au son des battements de mains, et instruments de musiques cités juste auparavant. 

Les plus anciennes de ces danses traditionnelles rappellent les métiers d’autrefois et font généralement partie de rituels effectués au cours de cérémonies religieuses ou encore afin de célébrer un évènement comme la récolte d’automne, l’arrivée du printemps, et sont étroitement liées aux activités typiques communes telles que la plantation, la récolte, la pêche et de chasse. Ces danses sont très souvent accompagnées des costumes traditionnels qui varient également selon les danses et les régions, mais aussi selon la classe et le statut social. Les vêtements peuvent alors évoluer allant du vêtement de travail à l’apparat de cérémonie. Ces danses traditionnelles ont plutôt un but social et permettent d’unir et de rassembler les communautés.

© ATSF de Bezons

“La fête n’est pas une spécialité portugaise, mais la capacité des Portugais à la mobiliser et à se mobiliser pour la faire dépasse l’expression réitérée de la nostalgie d’une sociabilité perdue. Si elle reste un espace de reconnaissance de l’ascension sociale de ceux qui ont « émigré », elle est devenue un espace visible ; les associations sont désormais conviées toutes les années dans les salons de la Mairie de Paris à une réception mondaine, même si cette manifestation ne reçoit pas l’adhésion de toutes. Après quarante ans d’installation en France, les Portugais n’ont perdu ni leur ombre, ni le sens de la fête qui détient une sorte de vertu dans son aptitude à créer du lien.” [ndlr : extrait du mémoire de Solène Phily, 2016].

Tu distingues les fêtes “entre-soi” des fêtes “pour les autres”, les ronchos. Peux-tu nous en dire plus ?

Souvent, ce sont principalement des Portugais qui participent aux fêtes organisées par l’ATSF. Cela s’oppose aux festivals, où la démarche est de s’ouvrir à tous. On peut faire notamment l’analogie avec les Fest Noz bretons. Pour les anciens, il y a vraiment l’idée de célébrer la culture du pays qu’ils ont quitté. On trouve une forte transmission entre les générations. Les représentations en festival sont l’occasion pour nous de rencontrer d’autres groupes de folklore et également d’autres associations portugaises d’Ile-de-France. L’ATSF propose aussi des voyages pour ses adhérents au Portugal ou ailleurs, toujours dans l’optique de se rassembler et partager. 

“Les dimensions de création, de diffusion et l’expression bilingue témoignent encore de la volonté de toucher un public plus large que les seuls lusophones. La reconnaissance de la diversité comme valeur est toujours actuelle. Depuis quelques années, l’objectif des originaires du Portugal est d’en finir avec cette image « d’invisibilité ». Le folklore joue un rôle alors essentiel dans ce désir d’affirmation de l’identité portugaise.”  [ndlr : extrait du mémoire de Solène Phily, 2016].

© ATSF de Bezons

Dans ton mémoire, tu évoques la question du jumelage des villes et des actions qui peuvent être menées de part et d’autre en matière d’expression culturelle.

Il est important pour que le jumelage de villes puisse fonctionner, à ce que des associations locales s’emparent de ces enjeux et proposent des actions de terrain, en appui aux services municipaux.

[ndlr : par exemple la commune de Brive-la-Gaillarde (Corrèze) est jumelée avec Guimaraes (Nord du Portugal, district de Braga). Une association locale a été créée en 2016, qui organise manifestations culturelles, voyages et propose une veille intéressante sur les actions de folklore portugais sur les réseaux sociaux.]

Aujourd’hui en 2022, le principal problème pour notre association, c’est de recruter des bénévoles. Il faut certes des financements, mais l’aspect humain reste primordial. Il est plus compliqué de mobiliser des gens. Il y a aussi un affaiblissement de l’engagement associatif au sens plus large. Concernant le rayonnement de l’ATSF Bezons, on dispose de subventions. On se sent soutenu par la municipalité. La ville et le département aident beaucoup. 

Il semblerait également nécessaire de rassembler davantage les associations de folklore portugais pour permettre des actions de mutualisation. Il y a cependant une grande association à Paris qui s’appelle Cap Magellan qui a cette fonction de porteur du réseau associatif.

Comment se passe l’organisation des cours de portugais au sein de l’ATSF ?

Dans notre association, nous avons eu beaucoup de demandes de Portugais qui souhaitent apprendre la langue française. L’ATSF propose également une aide pour l’administratif. A l’heure actuelle, il y a moins de demandes d’apprentissage du Portugais pour adultes à l’ATSF. Cela a évolué car auparavant, ces cours étaient sollicités par des Portugais. A présent ce sont des Français ou des personnes ayant d’autres origines qui font la demande d’apprendre cette langue.

En ce qui me concerne, l’apprentissage de la langue m’a permis de m’impliquer différemment dans la pratique du folklore. Le fait de comprendre les paroles des chants m’a touché, et m’a permis de mettre d’autant plus d’intention et de sens dans ma pratique de la danse.

Affiche de l’ATSF

“Pendant de nombreuses années, la lutte a été très intense auprès des organismes liés à l’enseignement afin que la langue portugaise soit enseignée au collège de Bezons. Pour anecdote, l’année précédant la mise en place de l’enseignement du portugais au collège Gabriel Péri de Bezons en 1979, quatre personnes de l’ATSF dont monsieur da Costa ont été reçus par l’Inspecteur de l’Académie pour aborder la question de l’enseignement de la langue portugaise. L’inspecteur ne voulait pas de cet enseignement et monsieur da Costa aurait répondu « ce n’est pas ce qui va nous décourager ». L’année suivante, l’Inspecteur autorisait cet enseignement. L’enseignement a été ensuite inscrit au programme des collèges.” [ndlr : extrait du mémoire de Solène Phily, 2016].

Concernant la valorisation patrimoniale du folklore portugais, comment s’effectue la collecte de “traces” mémorielles ?

Au-delà de faire de la communication pour les événements présents. Je trouve très important de conserver des traces de ce patrimoine. Depuis que je suis dans l’association, je classe toutes les photographies et j’espère vraiment qu’elles pourront servir pour plus tard pour la valorisation de ce patrimoine. Nous réalisons également des petites captations vidéos prises sur le vif des événements et gardons une trace de toutes nos affiches en lien avec nos événements culturels.

“Le phénomène de mondialisation est tel que l’on constate paradoxalement un réel

retour aux valeurs ancestrales. Ainsi, le patrimoine devient une nécessité de reconnaissance des communautés en tant que « valeur refuge ». Malheureusement, aujourd’hui, la mondialisation peut avoir des effets négatifs et menace le patrimoine qui fait face à l’uniformisation culturelle, les conflits armées, le tourisme, l’industrialisation, les migrations et la dégradation de l’environnement. Fort heureusement, la mondialisation comporte aussi des aspects positifs. 

Elle permet de connaître et reconnaître les cultures. C’est aussi grâce à la prise de conscience des dangers évoqués précédemment que l’on sauvegarde le patrimoine. D’un aspect particulièrement négatif comme les guerres avec leurs mouvements de populations, on peut tirer un aspect positif dans le cadre de la sauvegarde d’un patrimoine en danger. Nous pouvons ici donner l’exemple de Palmyre en Syrie. 

Toutefois il est regrettable d’avoir recours à de tels drames pour prendre conscience de la valeur du patrimoine. Dans la même continuité, beaucoup de Syriens émigrent en France notamment. On peut se poser la question de savoir si ce phénomène va être identique à celui de l’immigration des Portugais? Auront-ils le besoin et la volonté d’écrire leur histoire et valoriser leur identité en France ? N’avons-nous pas le devoir de valoriser le patrimoine immatériel des populations immigrées puisque « leur Histoire est notre Histoire » ?” [ndlr : extrait du mémoire de Solène Phily, 2016].

© Association des Portugais de Fontenay-sous-Bois, collecté par l’Association Génériques

N’hésitez pas à suivre l’activité de l’ATSF Bezons sur Facebook : @ATSFdeBezons

Et Solène Phily et ses activités professionnelles sur Instagram : @solene.equicoaching

Pour aller plus loin : Découvrez un extrait de l’entretien de Vasco Martins, issue de la campagne d’archives orales réalisée par l’association Génériques, portail Odysséo.

Vasco Martins est né au Portugal en 1941. Il quitte le Portugal en 1961 pour ne pas participer aux guerres coloniales. Anticolonialiste, il s’engage en France en faveur des déserteurs et insoumis portugais et des prisonniers politiques retenus au Portugal. Plus généralement, son action est dirigée vers les populations immigrées portugaises. Il donne notamment des cours d’alphabétisation dans les bidonvilles de la région parisienne et participe, en mai 1968, au soutien des grèves de travailleurs immigrés. Il s’implique également dans plusieurs compagnies portugaises en France pratiquant un théâtre militant. Professionnellement, il se consacre à la formation en délivrant des cours de français aux ouvriers de Renault Billancourt. Au moment de l’entretien, il est un membre actif de l’association Mémoire vive.

Article rédigé par Bérénice Primot

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