Le processus de « décolonisation institutionnelle » : quelles initiatives ?

Évolutions des axes de mission du Musée de l’Homme : une histoire marqué par d’importantes ruptures

En 1935, le palais du Trocadéro débute ses travaux d’agrandissement en vue de l’Exposition universelle des arts et des techniques. Il prendra par la suite le nom de Palais de Chaillot. Dans ce même élan, le musée d’ethnographie va être également rénové. Il devient le Musée de l’Homme en 1938. A l’époque, sa collection permanente s’articule autour de deux axes : 

  • La distinction des Hommes selon des “races”
  • La diversité humaine dans l’espace et le temps

Cette conception racialiste est notamment portée par le directeur du musée Paul Rivet (1876-1958) qui va s’appuyer sur une démarche naturaliste visant à classifier les Hommes les uns par rapport aux autres, conception issue notamment du Muséum national d’Histoire naturelle. La colonisation en tant que “mission civilisatrice” est alors défendue par le directeur.

© Bibliothèque Centrale du Muséum, 1939.

Si le musée se place comme ’”ambassadeur des peuples coloniaux”, il ne leur donne néanmoins pas la parole. Quelques chercheurs, dont notamment Jean Rouch, se placeront à contre-courant et réfléchiront à ouvrir un espace de parole au sein même de la recherche.

Si entre 1937 et 1939, la revue “Races et racisme” sera fondée par certains chercheurs rattachés au Musée de l’Homme, cherchant à s’opposer à la théorie de l’existence d’une prétendue supériorité de la “race aryenne”, ce n’est que bien plus tard en 1950 que la notion de “race” sera remise en cause par l’Unesco. Le développement des recherches sur la génétique permettront d’entériner ces questions de classification et de hiérarchisation des Hommes entre eux : “Tous les hommes sont les produits de migrations et de métissage ; tous sont différents mais parents”.

A sa réouverture en 2017 après d’importants travaux, le Musée de l’Homme propose l’exposition “Nous et les autres, des préjugés au racisme”, soutenue par l’Unesco. Cette exposition immersive place au centre l’histoire du musée de l’Homme ainsi que les évolutions des Sciences humaines et sociales dans l’objectif de déconstruire les mécaniques psychologiques qui font naître chez l’Homme préjugés, amalgames et racisme.

© Site internet de l’exposition “Nous et les autres”, Musée de l’Homme.

Pour aller plus loin : Si vous avez manqué l’exposition, vous pouvez retrouver bons nombres de ressources (parcours sonore, podcasts, lexique et synthèse de l’exposition) sur son internet dédié : http://nousetlesautres.museedelhomme.fr

Focus : la Vénus Hottentote

C’est en 1789 que Swatche naît en Afrique du Sud. Esclave d’un paysan hollandais, ils gagneront tous deux Londres en 1810. Son maître souhaite alors mettre en scène un spectacle où Swatche – à présent appelée Saartjie Baartman – serait mise en scène à moitié nue. Elle sera alors appelée la “Vénus hottentote”. Puis elle changera régulièrement de maître et rejoindra Paris en 1914 où elle sera de nouveau victime d’exhibition. Les spectacles dont elle fait l’objet rencontrent alors un franc succès auprès du public parisien. 

En 1915, le professeur Etienne Geoffroy Saint-Hilaire, administrateur du MNHM, s’intéresse à l’anatomie de Saartjie et souhaite qu’elle fasse l’objet d’une étude scientifique. Le 29 décembre 1915, Saartjie fortement abîmée par la vie, décède. Son corps est alors récupéré par le professeur d’anatomie Georges Cuvier. Il prélève la vulve et le cerveau de la défunte afin de les conserver dans des bocaux de formol, conserve le squelette et réalise un moulage en plâtre de son corps. Plus encore, ce qu’il reste de la dépouille ne sera jamais inhumé.

Moulage de Sarah Baartman, la « Vénus hottentote » visible le 31 janvier 2002 dans les réserves du Musée de l’Homme• Crédits : François GuillotAFP

L’histoire ne s’arrête pas là. En 1994, une demande de restitution des restes de la dépouille de Saartjie sera effectuée par Nelson Mandela auprès de François Mitterrand. Cette demande est réitérée en 1996 au cours d’un entretien entre le docteur Ngubane, alors ministre sud-africain des arts, de la culture, de la science et de la technologie et Jacques Godfrain, le ministre français de la coopération. Une nouvelle demande sera effectuée le 6 octobre 2000 par Madame Skeweyiya, ambassadrice de la République d’Afrique du Sud auprès du Secrétaire général du Quai d’Orsay. L’affaire peine encore à avancer.

Enfin, le 4 décembre 2001, Nicolas About dépose au Sénat une proposition de loi décidant de la restitution officielle de la dépouille de Saartjie Baartman à l’Afrique du Sud. Ce projet de loi sera promulgué le 6 mars 2002.

Pour aller plus loin : Vous pouvez découvrir cet extrait du journal télévisée en date du 29 janvier 2002 (France 3, archives de l’INA) qui évoque ce projet de loi et la question de l’inhumation : https://www.ina.fr/ina-eclaire-actu/video/1932274001030/restitution-de-la-venus-hottentote-a-l-afrique-du-sud-par-la-france

Si les restes de sa dépouille pourront être partiellement incinérés puis inhumés en Afrique du Sud, il reste néanmoins au Musée de l’Homme les bocaux conservant une partie des organes de la défunte, ainsi que le moulage de son corps. Ceux-ci n’ont pas été détruits et sont toujours présents dans la remise du Musée de l’Homme à titre “d’objets de conservation”. 

La question de la réparation de cette identité bafouée semble encore inachevée, posant avec elle de nombreux questionnements sur les limites des normes encadrant les œuvres muséales.

Pour aller plus loin : Le film Vénus noire datant de 2009 et réalisé par Abdellatif Kechiche. Un film poignant, extrêmement dur (pour être honnête, je n’ai pas pu le regarder d’une traite tellement il m’a chamboulé, j’ai dû m’y prendre à plusieurs fois). C’est un film qui interpelle et bouscule en profondeur.

Sources : BLANCKAERT, Claude (sous la dir.), La Vénus hottentote : entre Barnum et Muséum, Paris : Muséum national d’Histoire naturelle, 2013, 478 p.

MAIRE, Marc, Quel devenir pour le moulage du corps de la Vénus Hottentote ? in : Carnet Hypothèses des séminaires du programme de recherche art & artefactualité organisés à l’Ecole Supérieure d’Art d’Avignon (ESAA), 2016. URL : https://seminesaa.hypotheses.org/7166 [consulté le 08/03/2022].

Article rédigé par Bérénice Primot

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